Introduction
De nombreuses études ont démontré le changement de paradigme opéré par la DCE par rapport à l'ancienne approche fragmentaire de la législation européenne sur l'eau. Il est clair que la DCE constitue une étape majeure dans la promotion d'un processus plus large de protection et de gestion intégrées de l'eau dans une perspective à plus long terme . La DCE promeut ainsi une approche écosystémique fondée sur des bassins hydrographiques définis comme « toute zone dans laquelle toutes les eaux de ruissellement convergent à travers un réseau de rivières, fleuves et éventuellement de lacs vers la mer, dans laquelle elles se déversent par une seule embouchure, estuaire ou delta » (article 2). Une telle vision holistique intègre l'ensemble du cycle de l'eau, des eaux de surface intérieures aux eaux côtières, y compris les écosystèmes terrestres et les zones humides qui dépendent directement des écosystèmes aquatiques. Elle affirme également le statut complexe de l'eau qui n'est « pas un bien marchand comme les autres mais, au contraire, un patrimoine qu’il faut protéger, défendre et traiter comme tel » (considérant 1).
La DCE fixe des objectifs très ambitieux et des obligations générales afin d'atteindre un bon état de toutes les masses d’eaux de surface et souterraines de l'UE d'ici 2015 (A). La DCE se concentre principalement sur la protection et l'amélioration de la qualité de l'eau ; comme elle l'indique, « le contrôle de la quantité constitue un élément complémentaire garantissant une bonne qualité de l’eau et, par conséquent, il convient de prendre également des mesures relatives à la quantité, subordonnées à l’objectif d’une bonne qualité » (considérant 19).
Chacun reconnaît le caractère très technique de la DCE, en particulier les nombreuses annexes qui reflètent une compréhension du fonctionnement des masses d'eau qui reste sujette parfois à débat scientifique. De nombreux documents d'orientation (non contraignants) sur la mise en œuvre de la DCE ont été élaborés par la Commission en coopération avec les représentants des États membres . Il n'est pas surprenant que la CJUE ait été appelée à clarifier plusieurs dispositions de la DCE. La DCE renvoie à différentes dispositions énoncées dans d’autres directives environnementales et comporte un nombre élevé de définitions, parfois concernant des notions géographiques telles celles de rivière ou de lac, ainsi que des concepts relatifs à « l'état » des masses d'eau (article 5). La plupart des dispositions de la directive laissent aux Etats membres une grande marge d'appréciation quant à la nature des mesures à prendre ; la DCE ne vise pas une harmonisation complète des législations nationales sur l'eau
. Les États membres doivent cependant veiller à ce que la transposition de la DCE soit suffisamment claire et précise. Bon nombre des définitions complexes de la DCE sont donc « essentielles »
pour garantir une transposition et une mise en œuvre correctes de la directive. Dans l'affaire C-648/13
, la Cour a ainsi constaté le manquement de la Pologne qui n’avait pas transposé complètement et correctement les définitions de « état des eaux souterraines », « bon état des eaux souterraines », « état quantitatif » et « ressource en eau souterraine disponible ».
Les dispositions de la DCE présentent une dimension duale : d'une part, elle fournit un ensemble de « stratégies » pour l'adoption de directives d'application relatives à divers polluants et milieux affectés et, d'autre part, elle comprend des dispositions immédiatement applicables . La DCE impose ainsi aux États diverses obligations spécifiques, allant de la caractérisation de leurs bassins hydrographiques à la planification pluriannuelle de la gestion des masses d’eau et à la récupération des coûts des services de l'eau (B). Les objectifs de qualité spécifiques permettant de caractériser les masses d'eau expriment l’obligation de prévenir la pollution et la recherche d'un « bon » état des eaux, avec certaines différences entre les eaux de surface et les eaux souterraines (C). La DCE promeut un modèle de gouvernance des districts hydrographiques et de participation du grand public, y compris des usagers de l'eau et des autorités locales, qui doit être toutefois être substantiellement amélioré (D). Enfin, la DCE prévoit la possibilité d’atteindre des objectifs environnementaux moins stricts, d’accorder des dérogations et de reporter l’échéance de 2015 ; autant de possibilités qui constituent de véritables nid à contentieux (E). La mise en œuvre de la DCE est en effet à l'origine d'un grand nombre de différends portés devant la CJUE ; au cours des 5 dernières années, 10 affaires
illustrent les principales difficultés liées à la mise en œuvre complète de cette complexe directive.